Théorie du champ journalistique et circulation transfrontalière des informations

Atelier du 22 février 2012

Chercheurs invités  :

Michael Meyen (Université de Munich) et Julien Duval (CRESS-CNRS)

 

Présentation détaillée

Le concept de “champ journalistique” a été développé dans le courant des années 1990 à partir de la théorie du sociologue français Pierre Bourdieu. Espace social où les différents agents sont en interactions coopératives ou conflictuelles, régis par des règles et un illusio (“engagement dans le jeu”) propres, un champ peut être, de manière générale, considéré comme un “microcosme” ou encore “sous-système” social pour reprendre les termes de Niklas Luhmann. Les chercheurs français inspirés de P. Bourdieu (par exemple Patrick Champagne, Dominique Marchetti ou Julien Duval) ont mis en évidence les caractères particuliers du champ journalistique qui reste très faiblement autonome malgré le processus de « professionnalisation » qui le travaille. En effet, les logiques économiques et les logiques politiques continuent de s’imposer face à la logique intellectuelle qu’une partie de la profession revendique.

Peu de travaux ont utilisé le concept de champ médiatique dans un contexte international, en particulier celui de l’Europe qui vit pourtant une intégration politique et économique de plus en plus poussée. Le propos de cet atelier est d’interroger l’utilité de ce concept à partir d’un terrain bien particulier, la Grande Région et en particulier son “noyau fonctionnel” (la centaine de kilomètres autour de la ville de Luxembourg).

La Grande Région (GR) est parfois présentée comme le “laboratoire de l’Europe”. Si cette assertion a pu à juste titre être relativisée, cette zone de coopération transfrontalière présente plusieurs propriétés qui en font un cas particulièrement intéressant.

 

La Grande Région se caractérise par une forte diversité culturelle, linguistique, économique et sociale :

     

 

  • Au niveau des langues, on rencontre l’allemand, le français, le luxembourgeois sans compter l’anglais très utilisé dans les organismes financiers luxembourgeois ou le portugais, troisième langue parlée au Grand-duché.
  • La région est à la fois rurale, industrielle (même si ce secteur est en fort déclin), urbaine avec une forte présence des services, du commerce et de la finance.
  • Quatre Etats-Nations composent la Grande Région, chacun avec son système juridique, fiscal et de protection sociale distinct.
  • Les habitudes alimentaires, les moeurs et les rythmes quotidiens restent profondément marqués par les frontières nationales et linguistiques (la GR est traversée par la frontière entre le monde latin et le monde germanique).

 

Ensemble composite, la Grande Région est néanmoins marquée par un processus d’intégration profond :

 

  • Le marché de l’emploi, fortement aimanté par le Luxembourg et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, entraine une forte mobilité pendulaire au-delà des frontières : les travailleurs frontaliers représentent près de 180 000 personnes dans l’ensemble de la Grande Région (le Luxembourg accueillent quotidiennement 146 000 frontaliers et la Sarre 11 000, tandis que la Lorraine en fournit chaque jour 93 000, le Palatinat 20 000 et la Wallonie 15 000).
  • La consommation de biens matériels et culturels ont un caractère transfrontalier de plus en plus marqué (hypermarchés, boutiques, marchés de Noël, musées, loisirs et sorties, etc.)
  • Les réseaux de transport, routiers et ferroviaires,s ces besoins de mobilités quotidiennes.
  • Les institutions territoriales cherchent à insuffler une identité “grande régionale” à travers différents outils ou institutions tels que un sommet de la Grande Région tous les 18 mois, des comités et observatoires spécifiques, des portails internet (Granderegion.net, Plurio.net, Grrrr.net), une “Maison de la Grande Région” ouverte à Luxembourg, une Université de la Grande Région, etc.

 

Au niveau des médias, la fragmentation des publics reste la règle générale, et pas seulement au niveau linguistique et national. Néanmoins, outre les tentatives d’émissions publiques radiophoniques transfrontalières ou les suppléments transfrontaliers de certains quotidiens régionaux, on a vu apparaitre en 2006 une presse gratuite luxembourgeoise (en allemand et en français) dont la cible est ouvertement transfrontalière et grand régional.

 

Sur le web, de nouveaux portails et sites, lancés par les pouvoirs publics ou par des entreprises privées ou des associations dispensent une actualité qui concerne toute la Grande Région. De nombreux dispositifs de publicisation et de diffusion de l’information que permet le Web.2 sont également utilisés pour donner un caractère international et transfrontalier à certains types de nouvelles.

 

Enfin, des logiques politiques (notamment en ce qui concerne les trajectoires et caractères des élus locaux) comme économiques (au niveau de la formation, de l’emploi mais aussi du commerce et de la publicité) incitent les différents acteurs à s’investir dans la construction d’un espace médiatique transfrontalier.

 

Cet atelier, ouvert en priorité à des doctorants et des jeunes chercheurs de France, Allemagne, Belgique et Luxembourg, aura un double objectif :

 

  • Présenter et discuter le concept de “champ journalistique” à partir de sa circulation internationale en particulier dans les pays de langue allemande.
  • Evaluer la pertinence de son application à des espaces internationaux et voir comment il peut être utile à la recherche dans le contexte de la Grande Région.

 

     

A l’issue de cette journée d’études et d’échanges critiques, il est à espérer que ce concept sera transmis dans d’autres espaces académiques et scientifiques que la France mais surtout, qu’il aura été enrichi et reformulé afin d’être utile à des recherches de terrains à caractère frontalier et européen.

 

 

 

 

 

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